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Peste soit de la rumeur

Copier-coller un message nous protégerait de l’utilisation que FB peut faire de nos données : voilà la rumeur qui s'est répandue sur Facebook ce WE, avec une vitesse et une ampleur rarement constatées. Ridicule, effrayant ? Le phénomène vaudrait qu’on s’y penche une fois les passions retombées.

Dès samedi, au fil des heures, j’ai été submergée par la « contagion » du même message, avec trois ou quatre variantes. Au fil des heures, ce n’est pas dix, vingt relais que je voyais s’afficher sur mon mur, mais des centaines. J’ai d’abord pensé que comme je réagissais systématiquement à ce genre de post, mon algorithme me les sélectionnait et me les servait prioritairement : une histoire de fou. Mais non, tous étaient frappés (même si tous n’en mourraient pas).


Sur le fond, et l’inanité de cette croyance, sur le contexte politique et juridique, je renvoie aux excellents débunkages du Figaro et du Soir[1]. Mais permettez-moi, ici et en toute modestie questionnante, de partager avec vous quelques réflexions sur le phénomène. 1. Cette épidémie et ses vagues ont d’abord ouvert ma réflexion sur la puissance de la pensée magique vs celle de la pensée critique. Pour ce genre de publication, pour les fausses citations de Spinoza, d'Einstein ou du Pape, pourtant vérifiables en deux secondes, qui pullulent chez mes quatre mille et quelques contacts, mais dont le surgissement chez des proches, diplômés, universitaires, journalistes, enseignants, bref, dont la raison et l’esprit critique sont supposés être les modes de pensée habituels, m’interpelle régulièrement.

Pensée magique : ça ne coûte rien / on ne sait jamais / si ce n'est pas vrai ça pourrait l'être / c'est faux mais j'aime bien[2] etc. Dépense : un clic. Récompense : sentiment d'avoir agi.

Pensée critique : juste un peu de réflexion. Récompense : peu. Processus déceptif. En plus tu emmerdes les gens, tu n's même plus capable de rêver (sic) etc.


Un jour, si ce n’est déjà fait, on étudiera le circuit "récompense" de ce genre de partage : adhésion à la collectivité, sentiment de puissance, validation de notre vision du monde, que sais-je. Ce sont ces micro-mécanismes qui conduisent à un jour, j’en suis persuadée, relayer l'horrible fake news du bombardement d'un hôpital à Gaza, la croyance selon laquelle les élections américaines ont été volées, ou les arguments pro-Brexit. Et souvent à n’en pas démordre.

2. Au fil des heures, les gens réagissaient à la fake news, puis réagissaient aux réactions. Ces vagues successives pouvaient se catégoriser comme suit :

(1) Les A copient-collaient n'importe quoi sans réfléchir, ni au contenu, ni au contexte au point d'envahir tout l'espace.

(2) Les B, exaspérés, réagissaient à chaud, parfois par l'humour ou l'agressivité, parfois en partageant des explications et du débunkage.

(3) Les A, vexés, ne mouftent pas, laissaient les partages contaminer tout le rézo, ou préfèrent carrément plussoyer, genre : bah, on ne sait jamais, c'est mon avis et je le partage.

(4) Les C accusent les B d'anti-pédagogie, de condescendance, de mépris, d'élitisme. Bref :











Un réflexe archaïque, quasiment reptilien

3. Taxer les naïfs de naïveté était un peu court. Il y avait, parmi eux, nombre de « proches, diplômés, universitaires, journalistes, enseignants, bref, (des gens) dont la raison et l’esprit critique sont supposés être les modes de pensée habituels ». Qu'est-ce qui leur a pris ? J'ai parlé plus haut de la puissance de la pensée magique, et du circuit de récompense qu'elle active probablement. J’ai aussi trouvé sous d’autres fils de discussion quelques pistes de réflexions que je livre ici. Une de ces pistes évoque le « pari du prédateur », un concept que je n’ai pas pu sourcer avec précision jusqu’à présent mais dont j’avais déjà entendu parler. Il s’agit d’un réflexe reptilien, archaïque, de survie - et que nous aurions conservé par sélection naturelle - qui nous enjoint, en cas de danger, à user de l’instinct plutôt que de la raison. Un réflexe qui lors d’une promenade dans la nature nous ferait prendre la fuite à la vue d’un buisson en forme de lion. Ou d’un bâton en forme de serpent. Il vaut mieux prendre un bâton pour un serpent que subir la morsure d’un serpent identifié avec quelques millisecondes de retard. Vous me suivez ? Un réflexe exploité dans la pub, la politique ou la diffusion des fakes news. « On ne sait jamais, des fois que ça marche » : c’est aussi l’argument des relayeurs de ces fake news. Facebook me fait signer un formulaire de consentement à l’utilisation de mes données : dans la panique, je fonce sur n’importe quoi qui peut ressembler à un contre-poison. Une autre piste m'a été proposée par VincentYzerbit, professeur de psychologie sociale à l'UCL. Selon lui, "on peut aussi penser à une lecture en termes de consommateurs qui se sentent solidaires face à un géant qui bafoue leurs droits. Le post du message est une forme d’expression publique de cette appartenance." Bref, comme le disait l'un de mes contacts, "j'emmerde Mark Zuckerberg".


4. Activation d’un circuit "récompense", adhésion à la collectivité, sentiment de puissance, validation de notre vision du monde, résistance maladroite à la toute-puissance des GAFAs, ou réflexe archaïque du type « pari du prédateur » : réfléchir à ces mécanismes est intéressant et permet de sortir du jugement. Si "avertir" chacun de ce qu'il.elle se fourvoie équivaut à tenter de vider la mer avec une petite cuiller, je pense qu'il est intéressant de réfléchir à l'abdication générale de l'esprit critique et de la vérification des faits et des sources et à leurs conséquences les plus dramatiques : insurrection du Capitole, Brexit etc.


C'est peut-être à rapprocher de ce que Marie Peltier explique en matière de débunkage. À l'état brut, sans analyse des mécanismes de pensée qui sont à l'œuvre dans ce genre de propagation, ça ne réveille pas les personnes qui y participent, au contraire, le plus souvent, ça les stigmatise. Et ça les isole.On l'a vu au temps du Covid et des antivax : la croyance n'est que la partie visible - le symptôme - d'une vision d'une monde. On peut aussi penser que, les « débunkeurs », les "humilieurs", bref les dénonceurs de fake news, s’ils réagissent aussi épidermiquement que les "naïfs", et parfois avec une insupportable condescendance, au moins proposent un contre-discours. Vexatoire mais qui peut servir de choc. J’en veux pour illustration qu’au fil du weekend, pas mal de A ont effacé leur publication, gênés, vexés, confessant avoir fait confiance en leur source, plaidant que l’erreur est humaine et posant la question inquiète et fondée de la protection de leurs données. Jurant, mais pas trop tard, qu’on ne les y prendrait plus. On se met à espérer que ce soit le début de quelque chose. Bref, collectivement, une expérience dont il serait utile de tirer les leçons, ensemble ou chacun pour soi.



[1] https://www.lesoir.be/548914/article/2023-11-12/mon-facebook-est-bleu-facebook-devient-un-organisme-public-et-si-arretait-de [2] Incroyable utilisation assumée même après déconstruction critique des citations relayées, où il est évident que Spinoza, Einstein ou le Pape ne peuvent avoir tenu ce genre de discours, rien que dans leur sémantique, mais quasiment oxymoriques au niveau du fond – un comportement que j’ai croisé chez des proches pourtant supposés connaître le sujet ou pratiquer la méthode critique.

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