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J’ai dormi

  • Photo du rédacteur: Dominique Costermans
    Dominique Costermans
  • 9 avr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 avr.



Variation* sur Espèces d’espaces, de Georges Perec. J’ai dormi dans une chambre à deux lits, un pour ma sœur, un pour moi. Nos couvre-lits, de couleurs joyeuses, étaient assortis aux rideaux. Certains soirs, ma sœur et moi tendions entre nous une petite couverture dans laquelle on faisait sauter une peluche appelée « Titigre ». Ces séances de cirque dégénéraient immanquablement dans des fous rires étouffés par la crainte de voir surgir l’un de nos parents courroucé.


J’ai dormi sur un lit de camp en toile, dressé au milieu d’autres sur la scène d’une salle des fêtes paroissiale. Une nuit, les dirigeantes nous ont tirées de nos sacs de couchag. L'une de nous, disaient-elles avait disparu et nous devions partir à sa recherche avec nos lampes de poche. J'étais terrifiée. J'ai pleuré. J’avais sept ans, c'était mon premier jeu de nuit.


J’ai dormi dans une maison savoyarde. Les bêtes dormaient en bas, dans l'embasement; le séjour et les chambres étaient à l'étage. La porte-fenêtre de ma chambre donnait sur un balcon en bois ouvragé qui faisait le tour de la maison. C'est par là que ma jeune tante est venue me ravitailler en cachette la fois où j’ai été punie par mon père ("Dans votre chambre ! Sans souper !").


J’ai dormi dans une mansarde dont j’avais pu choisir le papier-peint aux fleurs rondes, orange et brunes. Dressée sur la pointe des pieds sur le bord de mon lit, j’arrivais à passer la tête par ma tabatière pour observer les nuages.


J’ai dormi chez les Victimes du Cœur de Jésus, dans une chambre minuscule dont l’unique fenêtre donnait sur un couloir.


J’ai dormi dans un lit bateau plaqué pin de chez Ikea, que mes parents nous avaient offert en cadeau de mariage. Après qu'on se soit mariés bien entendu, pas avant ! Mais après que nous avons vécu deux ans dans le péché et dormi sur un matelas à même le sol.

 

J’ai dormi dans un lit d’hôpital. Après l’accouchement, la fièvre était si élevée que dans mon délire, je croyais que la neige entrait par la fenêtre entrouverte et s’amoncelait mes couvertures en un fin linceul glacé.


Au Colorado, j’ai dormi dans une chambre d’hôtel avec deux lit King size. Mon mari occupait l’ un des lits avec l’une de nos filles, et moi l’autre, avec l’autre. Au retour, on s’est séparés.


À Montréal, j’ai dormi dans un lit tellement grand qu’on aurait pu y tenir à trois sans se toucher. Comme on y captait mieux le wifi que dans sa chambre, Sidonie venait s’y réfugier tous les soirs avec son ordi pour recevoir les messages de son amoureux.


J’ai dormi sur la moquette d’un couloir d'un gratte-ciel avec Sidonie, Atiq Rahimi, Jacques Salomé, des dizaines d’écrivains, d’éditeurs, de journalistes, et l'équipe de soccer de Calgary au grand complet. À l’aube, des pompiers harnachés comme dans les films américains sont venus nous dire que l’incendie qui avait ravagé les cuisines du Hilton et enfumé nos chambres était maîtrisé. Nous les avons applaudis.


J’ai dormi sous la Voie lactée, et je me suis sentie toute petite - mais unique et précieuse - sous l’immensité du cosmos. Enfin, quand je dis j’ai dormi... Je n’ai pas fermé l’œil tellement j’avais la trouille que les phacochères qui grognaient dans les parages ne viennent retourner la tente.


Dans l’Ilot Sacré , entre les musiciens de rue tard le soir, la sortie de la boîte de nuit voisine à toutes les heures, et les touristes à roulettes dès l’aube, j’ai mis un an avant de passer une nuit complète.  Enfin, le tapage nocturne a bon dos parfois.


J’ai dormi dans le basement de la maison de Béchir et Kathy. On se serait cru dans un abri anti-atomique, entre leur garde-manger, leur buanderie et tous leurs albums photos. Par le soupirail, on pouvait voir le panneau Vote for Bernie qui trônait au milieu de la pelouse.


J’ai dormi dans une chambre suspendue au-dessus de Broadway Ave, plus spacieuse que le rez-de chaussée de ma propre maison. Au milieu de la nuit, Kathy m’a appelée de la chambre voisine pour me dire que neige tombait. Je me suis levée et je suis restée longtemps pieds nus devant l’immense baie vitrée, à regarder les premiers flocons danser entre les gratte-ciels.

Dans le désert, j'ai dormi comme une pharaonne : les yeux grands ouverts dans un silence et une obscurité tombale.


J’ai dormi des milliers de nuits avec É. Je me souviens de la première, oh oui. De nos émerveillements, de nos embarras, de nos fébrilités, de nos évidences, je me souviens de tout, depuis la gare où il était venu me chercher un soir de mai, jusqu’au petit-déjeuner du lendemain, dans sa cuisine métropolitaine.


Mais de notre dernière nuit ensemble, il ne me reste aucun souvenir. *La consigne d'écriture est la suivante : listez une vingtaine de lieux où vous avez dormi. Chaque item doit commencer de la même façon ("J'ai dormi" ou "Toponyme + j'ai dormi") Cette énumération ne doit pas ressembler à une collection de performances mais en quelques lignes, deux ou trois, dire quelque chose de vous de simple, de vrai, de touchant. Organisez ensuite les items par ordre chronologique de sorte que le texte raconte une histoire en pointillés. Temps : trente minutes.

 
 
 

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