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La Kenya : mutations et enjeux d’un quartier de Lubumbashi

L’ancienne cité indigène est aujourd’hui l’autre centre-ville de la capitale katangaise

Yves Hanin, lire les villes comme un palimpseste permet d’en comprendre l’évolution mais aussi de mieux prévoir leur développement. Il y a quelques temps, avec l’historien Serge Songa, vous avez travaillé sur la commune de la Kenya à Lubumbashi. Le voyageur qui pose le pied au Congo peut être frappé par ce curieux mélange urbain de visibilité des traces coloniales, dans les tracés, les voiries, les équipements, les bâtiments, et l’anarchie urbaine qui semble régner. La Kenya serait-elle emblématique de cette… superposition ? Yves Hanin : Je ne dirais pas que la Kenya est emblématique de l’histoire et du développement des villes congolaises ; elle en est plutôt la possible métaphore, dans sa façon de décliner l’héritage colonial et de traverser les grandes époques de l’histoire du Congo : la décolonisation, la zaïrianisation, l’émergence de l’économie informelle. En même temps, cette histoire urbaine s’inscrit dans un espace spécifique. Ce sont ces déclinaisons spécifiques qu’il est important de comprendre si l’on veut savoir comment agir. Au départ, la Kenya est une extension de la cité indigène de Kalamondo. Ces cités indigènes, planifiées par les autorités belges dès les années 20, devaient accueillir les travailleurs noirs en bordure des villes coloniales et à l’écart de la population blanche, sous prétexte de contenir la malaria. L’argument hygiéniste masquait probablement un souhait de ségrégation sociale plus que raciale car la planification de ces cités rappelle celle des cités-ouvrières ou des corons belges au XIXe s. À la Kalamondo, différentes habitations furent construites tant par les pouvoirs publics que par les entreprises. La Kenya ressemblait alors à une brousse en partie cultivée et consistait un lieu de refuge pour les travailleurs noirs déclarés inaptes pour l’industrie minière. L’accroissement de la population, en lien avec le développement industriel, conduisit le Gouverneur du Katanga, Gaston Heene, à décider en 1932 que son urbanisation suivrait les principes d’un centre extra-coutumier et permettrait l’accès à la propriété de populations qui ne disposaient pas de logements. Il était en effet inconcevable que ces populations qui avaient développé un mode de vie et d’habiter différents de ceux de leur communauté d’origine et acquis le statut de « détribalisés », soient forcées de retourner dans leurs villages suite à la crise de 29 et au chômage, ou au terme de leur vie active. Ce projet se concrétise à partir de 1943. On relève alors que près de 2000 maisons en adobe et couvertes de paille sont érigées pour loger les sans-abris qui envahissaient les abords de la ville. Le plan d’organisation du centre extra-coutumier porte sa superficie de 60 à 230 hectares sur des terrains cédés par l’Union minière du Haut-Katanga. Les premières voiries sont tracées (avenues Bukama, Kolwezi, Mitwaba et Manono) au sein d’un boulevard de ceinture, posant ainsi les bases d’un tracé orthogonal qui sera progressivement étendu et redécoupé en blocs de parcelles[1]. Au terme de la guerre, les soldats noirs revenus d’Abyssinie via le Kenya, dont ils avaient adopté certaines coutumes, furent installés dans ce nouveau lotissement… et lui donnèrent son nom. Les pouvoirs publics définissent donc un tracé et des voiries. Par qui était prise en charge la construction de l’habitat ? À quoi ressemblaient les maisons de la Kenya ? La reconnaissance du droit à l’acquisition foncière par les populations indigènes, et le préfinancement assuré par le Fonds d’avance permettaient l’achat à crédit du terrain et des matériaux. Face à l’accroissement démographique, le plan fut revu pour permettre une densification du quartier en réduisant la taille des parcelles et le découpage en 4500 lots de 12 mètres de façade sur 25 mètres de profondeur. Sur les terrains vendus, la pose des fondations était assurée par l’autorité afin que l’alignement et les reculs vis-à-vis des limites parcellaires soient respectés. La construction en briques cuites d’une habitation de quatre pièces sans étage était réalisée par la famille ou une entreprise. Elle se faisait d’après une dizaine de modèles possibles. La toiture habituellement en tôle pouvait comporter une pente ou deux versants, laissant parfois une ouverture au faîtage. Selon les besoins du ménage, il était autorisé d’agrandir la bâtisse en lui accolant à l’arrière deux pièces supplémentaires. On garantissait ainsi une certaine homogénéité sans pour autant conduire à une répétition architecturale systématique. Une haie ceinturait la parcelle et abritait la maison des regards. En fond de lot, une latrine ; les eaux usées étaient dirigées vers une servitude réservé à leur écoulement, et emmenées vers un collecteur enterré sous l’avenue. Qu’en était-il de l’espace public, du commerce, de l’approvisionnement en eau ? La taille des parcelles limitait la possibilité d’y entretenir un potager. Pour compenser cela, le plan d’aménagement prévoyait d’affecter au maraichage les terrains situés au-delà du boulevard de ceinture, en bordure du chemin de fer ou de la rivière. La Kenya était composée de dix-neuf rues de terre battue tracées d’est en ouest et accessibles depuis seize avenues allant du nord au sud, le long desquelles les équipements, les commerces les ateliers des artisans se trouvaient. Au croisement des rues, le retrait des constructions aux angles permettait un dégagement qui prenait la forme d’un espace public sur lequel une borne fontaine était installée. Le plan prévoyait des équipements collectifs, des commerces et des ateliers pour les artisans. Au centre de La Kenya, de vastes étendues furent concédées à l’Église catholique pour la construction d’écoles et de dispensaires, ainsi que pour une basilique. Dans les années cinquante, l’essor de l’industrie minière et celui de la population conduisirent à revoir le statut de la Kenya. Deux autres cités extra-coutumières virent le jour à Lubumbashi : la Katuba et la Rusahi. Dans ce contexte, la Kenya, où près de 35000 personnes résidaient déjà, devent le centre-ville indigène face au centre-ville européen. Bien qu’il soit difficile de trouver un texte définissant cette stratégie urbaine et attribuant des fonctions et des rôles aux différentes cités extra-coutumières et celui de centre-ville indigène à la Kenya, on peut la déduire des décisions prises qui viennent renforcer le niveau d’équipements : d’abord l’aménagement d’un marché central pour alimenter les marchés des autres centres extra-coutumiers, puis l’implantation d’une imposante basilique au centre de la cité, et enfin, en 1964, la construction d’un centre sportif d’envergure qui prend la relève du célèbre stade Grand Mazembe à la Kalamondo, devenu désuet. Ici, la parcelle est une unité de terrain à bâtir. Un ensemble de parcelles et appelé parcellaire. (...) A suivre dans Ulenspiegel 2, dossier "d'un Congo à l'autre", février 2020.

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