De la pédagogie à la démocratie
Les livres pédagogiques ne sont le plus souvent que la déclinaison de bons vieux principes top-down : les experts savent, leur savoir doit percoler et la transmission n’est qu’une question de forme (récit, pédagogie, vulgarisation). On frise parfois le dogmatisme, malgré les meilleures intentions du monde. Ma méthode est radicalement différente.
Je rédige des livres et du matériel pédagogique sur des sujets de santé et d’environnement à destination des enfants et des adolescents depuis presque vingt ans. Les outils pédagogiques dans ce domaine font aujourd’hui florès – et c’est très bien. Les discours méthodologiques aussi. Je suis étonnée que, si sophistiqués fussent-ils (il est de bon ton aujourd’hui d’en appeler au récit, par exemple, un concept très à la mode qui fait son chemin depuis Ricoeur), ils ne sont le plus souvent que la déclinaison de bons vieux principes top-down : les experts savent, leur savoir doit percoler et la transmission n’est qu’une question de forme (récit, pédagogie, vulgarisation). On frise parfois le dogmatisme, malgré les meilleures intentions du monde. La terre va mal, nous - les experts, les profs, les parents, les « sachants » - savons ce qu’il faut faire et nous allons te l’expliquer (aller à l’école en vélo, manger local et de saison, porter un masque…). En matière d’environnement, le bien et le mal sont déjà décidés ; les valeurs sont fournies clés sur porte. Ma méthode est radicalement différente. Elle part toujours des enfants eux-mêmes. De l’état de leurs connaissances, de leur vision du monde, de leurs valeurs et surtout, de leurs questions. Qu’il s’agisse de parler d’environnement (L’environnement expliqué aux enfants, éd. Luc Pire, 2003), de développement durable (Le développement durable expliqué aux enfants, éd. Luc Pire, 2004) ou de santé (L’hôpital expliqué aux enfants, Now future, 2017 ; Le Covid expliqué aux enfants, le Covid expliqué aux ados, CHU de liège, 2020), elle se fonde sur deux questions ouvertes :
Quelles sont les questions que tu te poses à ce sujet ? Que penses-tu qu’on doive expliquer aux enfants de ton âge ?
Depuis 2003, je travaille de façon itérative avec mes petits comités d’experts. Hier, Morgane, Laurence, Artus, Laure et Caroline, aujourd’hui Hippolyte, Anatole, Gaspard, Pauline, Lily, Joaquim ou Valentine… je n’écris rien, je n’élabore aucun plan, aucun schéma avant que leurs premières réponses et questions ne me reviennent. Elles m’ouvrent à leur vision du monde. Je suis souvent surprise par ce qui « remonte », et cette surprise est bon signe : signe que c’est leur vision du monde qui devient mon espace de travail. Et que cet dans cet espace – le leur – qu’on va pouvoir collaborer : travailler ensemble. Ensuite, mes réponses repartent vers eux.elles et sont relues à l’aune de leur savoir et de leur esprit critique. D’autres questions surgissent. Des demandes de précisions. As-tu compris tous les mots ? Comment dirais-tu cela si tu devais l’expliquer à tes ami•es ? Moi, j’ai compris, mais peut-être que les autres enfants ne comprendront pas…
Dans ces échanges, il y a de la place pour l’expression de l’inquiétude, de l’émotion, de l’angoisse. Est-ce que je risque de me réveiller pendant l’opération ? Et si au contraire je ne me réveille jamais ? Est-ce que ça fait mal ? À cause du Covid, est-ce qu’on ne pourra plus jamais jouer avec nos amis, les embrasser ? Je ne peux plus voir mon amoureux à cause du confinement : c’est pas juste. Et si j’embrasse ma Mamy, est-ce que je lui fais courir un risque ?
Et puis il y a les questions sans réponse. Ou sans réponse pour l’instant. Est-ce que le Covid va durer toute notre vie ? Va-t-on trouver un vaccin ? Ces questions-là aussi ont le droit de cité dans mon travail. Qui n’est donc pas vraiment un travail de vulgarisation. J’ai dit plus haut de collaboration. Je dirais aussi de construction commune du savoir. En ce sens, c’est aussi une expérience de démocratie radicale.